Actuellement, si vous vivez dans une communauté membre de lIndependent First Nations Alliance (IFNA), vous ne pouvez pas accoucher avec laide dune sage-femme. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de sages-femmes. Cette réalité constitue une perte énorme, car les sages-femmes ont accueilli de nouvelles vies dans les communautés autochtones pendant des millénaires. La colonisation a joué un rôle important dans le déclin des pratiques daccouchement traditionnelles par le biais de politiques qui ont éliminé les sages-femmes autochtones au profit du modèle biomédical de soins1. La perte des pratiques daccouchement traditionnelles a eu de profondes implications physiques, culturelles et spirituelles pour les communautés autochtones2.  

 

Qu’est-ce que l’IFNA? 

L’Independent First Nations Alliance est un conseil tribal qui soutient cinq collectivités du nord-ouest de l’Ontario : Première nation de Whitesand, Première nation de Lac Seul, Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, Première nation de Pikangikum et Première nation de Muskrat Dam. Trois de ces cinq collectivités sont accessibles uniquement par avion. L’éloignement des communautés présente des défis uniques en matière de soins de santé. 

Connor Howie, directeur des services de santé de lIFNA, explique quun certain nombre dissues défavorables de grossesses dans les communautés ont mis en évidence des lacunes en matière de soins. L’équipe s’est demandé si la réintégration des sages-femmes dans les communautés pourrait aider à combler ces lacunes. L’IFNA a demandé et obtenu une subvention de préparation communautaire qui fournit du financement pour accroître la sensibilisation aux soins prodigués par les sages-femmes et évaluer l’état de préparation de la collectivité à un programme de services de sages-femmes autochtones. 

 

Programmes de services de sages-femmes autochtones 

Les programmes de sages-femmes autochtones fournissent des services de sages-femmes aux Premières nations et aux communautés autochtones en milieu urbain, rural et nordique : 

  • soins prénatals, intrapartum et post-partum adaptés à la culture; 

  • programmes et services de soutien aux jeunes et aux familles qui attendent un enfant (p. ex., cours sur le rôle parental, aide à l’allaitement); 

  • éducation communautaire pour aider les jeunes et les familles qui attendent un enfant à faire des choix éclairés en matière de santé génésique. 

En Ontario, les sages-femmes autochtones peuvent travailler en vertu dune clause dexception de la Loi de 1991 sur les sages-femmes, avec le titre de sage-femme autochtone3. La clause dexception de la Loi permet à une communauté de reconnaître officiellement les personnes qui possèdent les compétences et les connaissances nécessaires pour fournir des soins de sage-femme en tant que sages-femmes légales. LOntario est la seule province à disposer dune clause dexception intégrée à la législation sur les sages-femmes4. 

Dans ce modèle, les sages-femmes autochtones sont responsables des normes établies par leurs nations et sont formées par le biais de méthodes dapprentissage basées sur la communauté ou la nation (cest-à-dire des programmes de formation locaux ou des stages dapprentissage). À lheure actuelle, moins dune douzaine de sages-femmes indigènes peuvent exercer en Ontario grâce à cette exemption. Mais les défenseurs de cette cause travaillent darrache-pied pour augmenter ce nombre. 

 

Processus de consultation approfondie 

Dans le cadre de l’évaluation de la préparation des collectivités, l’IFNA a recueilli des données quantitatives et qualitatives. L’IFNA a demandé des données à BORN Ontario pour l’aider à comprendre l’état de santé et les résultats des femmes enceintes et des nourrissons dans leurs collectivités. Les interventions en santé faisaient également partie de l’ensemble de données. BORN a fourni des informations sur léducation prénatale, les soins prénatals, les complications post-partum, les admissions en UNSI, le travail et laccouchement. Les données ont été examinées, interprétées, puis partagées avec les communautés de lIFNA sous la forme dune infographie, ainsi quavec le ministère de la Santé, sous la forme dun rapport narratif, à lissue de lévaluation. Connor dit quil a apprécié lopportunité de travailler en partenariat avec BORN et dutiliser les données pour soutenir leur travail. 

En plus d’analyser les données, l’équipe de l’IFNA a également mobilisé des membres de la communauté pour comprendre le contexte historique de la profession de sage-femme et les priorités actuelles en matière de soins de santé. Charlotte Oades est infirmière autorisée à l’IFNA et a dirigé l’évaluation de la préparation communautaire. Elle explique que lécoute des histoires traditionnelles et des témoignages des aînées a été dune valeur inestimable, notamment parce que ces histoires se perdent lorsque les détenteurs du savoir décèdent. Et cest le cas de beaucoup dentre eux. 

Les personnes avec lesquelles Charlotte sest entretenue ont expliqué que la profession de sage-femme faisait partie de leur communauté depuis des centaines dannées, «bien avant quun gouvernement ne dise que ce nétait pas sécuritaire». Les sages-femmes étaient connues pour être des praticiennes très compétentes. Charlotte déclare : «Les sages-femmes étaient des expertes et des piliers respectés de leur communauté. Il semble que ce soit le point de vue de personnes extérieures qui ait fait disparaître la validité de leurs connaissances». 

Betty5, membre de la Première nation du lac Seul, sait ce que c’est que d’être privé de pouvoir. Betty avait lhabitude de pratiquer des accouchements ; elle était compétente, respectée et on lui faisait confiance. Elle a même pratiqué un accouchement dans un bateau (alors quune femme enceinte se rendait de Lac Seul à lhôpital de Sioux Lookout, mais a accouché avant darriver). Betty* était là pour aider le bébé à passer en toute sécurité du monde spirituel au monde physique. Mais aujourdhui, Betty* ne peut plus faire daccouchement ; ce nest pas dans ses attributions et on ne lui fait confiance que pour prendre les signes vitaux. 

Y a-t-il une solution de rechange pour des gens comme Betty? David De La Fosse, directeur clinique de lIFNA, explique que lassociation étudie les possibilités pour les membres de la communauté de devenir sages-femmes autochtones : «Nous nenvisageons pas nécessairement le parcours académique occidental traditionnel qui consiste à aller à luniversité et à obtenir un diplôme. Il s’agit davantage d’expérience vécue et de formation communautaire. Cette voie existe déjà [programmes de sages-femmes autochtones], il s’agit de la mettre en place dans nos communautés.» L’évaluation de l’état de préparation des collectivités est la première étape pour y arriver. 

 

Évacuation pour l’accouchement 

Les femmes enceintes des communautés de lIFNA sont généralement transportées à Sioux Lookout, Winnipeg ou Thunder Bay à la 36e semaine de grossesse (ou plus tôt si la grossesse est considérée comme à haut risque) et restent dans ces centres urbains jusquà laccouchement. Ce phénomène, connu sous le nom d«évacuation forcée pour accouchement» ou de «confinement», est le résultat dune politique de santé fédérale de longue date et a été associé à de nombreux effets négatifs. 

La séparation des familles a d’importantes répercussions. David explique que les services de santé non assurés (SSNA) peuvent prendre en charge une personne (appelée accompagnateur) pour accompagner la femme enceinte, mais que des problèmes se posent toujours, car de nombreuses personnes ont des enfants à la maison. David explique : «Laisser ses enfants à la maison pendant six, sept ou même huit semaines avec des services de garde limités n’est pas viable.» Dans certains cas, David explique que des personnes finissent par accoucher dans la communauté sans les ressources nécessaires parce quelles ne veulent pas se déplacer. 

Dans plus dun cas, une femme enceinte évacuée sans accompagnateur est arrivée à lhôpital et a reçu des nouvelles dévastatrices concernant son bébé. À lun des moments les plus vulnérables de leur vie, elles se sont retrouvées seules. Charlotte décrit l’évacuation comme une rupture : «Cest une rupture avec la maison, la famille et la lignée.» 

 

La voie à suivre 

Connor Howie explique que la communauté a exprimé son soutien au rétablissement de la pratique traditionnelle des sages-femmes autochtones : «Cétait très émouvant de voir cette énergie, cette passion, ce bonheur lorsquils [les membres de la communauté] partageaient leurs histoires. Les femmes plus âgées ont raconté quelles avaient suivi leur grand-mère ou leur mère pendant quelles pratiquaient leur métier de sage-femme et que leur travail consistait à rester là et à observer. Puis, à un certain moment, elles ont pu intervenir et participer un peu plus à la pratique... C’était un processus d’apprentissage continu.» 

Charlotte explique que le rôle de sage-femme autochtone va bien au-delà de laccouchement proprement dit : «Une sage-femme autochtone est une éducatrice en nutrition prénatale, un soutien en santé mentale, une éducatrice en art dêtre parent, une éducatrice en allaitement et une soignante pour les bébés en bonne santé. Ce rôle va bien au-delà de la simple mise au monde de lenfant». 

Charlotte décrit un fil conducteur dans ses conversations avec les membres de la communauté : «Ils ont vraiment le sentiment que la naissance et le cheminement dans la vie et la parentalité sont sacrés et fondamentaux - cela relie les vies entre elles. »  

Se réapproprier la naissance par le biais de la profession de sage-femme autochtone fait partie de la guérison. Nombreux sont ceux qui estiment que la profession de sage-femme autochtone est essentielle à la régénération de familles autochtones fortes. BORN est fier de jouer un petit rôle dans le soutien de cet important travail de décolonisation qui consiste à rendre la naissance aux communautés6. 

 

LE SAVIEZ-VOUS? Des organisations comme l’Association of Ontario Midwives (AOM), le National Council of IndigenousMidwives (NCIM) et les chercheuses en pratique sage-femme sont à lavant-garde de ce travail de décolonisation depuis des décennies et soutiennent activement les communautés pour quelles se réapproprient la pratique sage-femme autochtone.Consultez les excellentes ressources ci-dessous : 

Shape 


Références 

3sages-femmes (Loi de 1991 sur les), L.O. 1991, chap. 31. paragraphe 8(3) 

5 Pour des raisons de confidentialité, le nom de la personne a été modifié.